Le plantain

Une demoiselle et sa duègne vivaient dans un chateau. Devant ce chateau passait une route des plus fréquentées. Parfois de beaux seigneurs à cheval ou de riches marchands , des poètes ou des chevaliers, surpris en chemin par la nuit, demandaient asile.

La Demoiselle, fort gracieusement, les accueillait et leur offrait un bon repas. Bien de jeunes seigneurs tombèrent amoureux des beaux yeux de la Demoiselle.Mais elle, dédaigneuse, secouait la tête, et trouvait l'un trop grand, l'autre trop petit...

Enfin , un jour on frappa à la porte, et un homme entra. Il avait les yeux étincelants et la bouche fine et quand il riait, c'était comme si mille oiseaux se réveillaient.

« J'aime ta minceur et ta beauté », murmura-t-il à l'oreille de la jeune fille... »

« J'admire les formes rondes chez les femmes », disait-il à la duègne.

Et il demanda à passer la nuit au château...Ce que fut ce repas, ce que fut cette soirée ! On dansa à la corde dans la cour, on joua aux charades dans la salle, on chanta, on dansa encore... et le soir, le jeune homme déclara son amour à la belle

.« Je ne suis point riche, disait-il, mais je t'aimerai de tout mon cœur... »« - Je t'aimerai, disait-elle, pour l'éternité. »Et la duègne d'ajouter : «Avec un aussi gentil seigneur, ici au château, la vie ne sera qu'un beau songe.».Pourtant, au matin, le gentil seigneur s'attrista, et dit :«Il me faut partir, pour revenir bientôt... J'irai dans ma ville, chez mon père, lui demander de bénir notre union.

 Attendez, attendez, criait la duègne, que je garnisse votre sac de voyage de bonne et copieuse nourriture ! Et elle lui mit du jambon , du saucisson et du pâté, des dragées et des fruits confits... «Oh ! assez, assez, s'exclamait le jeune homme... je me nourrirai bien du souvenir de vos beaux yeux... »

Il partit et ne revint jamais.

La belle et la duègne l'attendirent, d'abord à la fenêtre, puis, poussées par la douleur et l'impatience, au bord même du chemin. Elles y demeurèrent, l'hiver et l'été, le printemps et l'automne, si bien, qu'elles y prirent racine.Ainsi naquit, élégant, élancé, le plantain lancéolé, auprès de la duègne, devenue le gros plantain à feuilles rondes..

Chaque année, les deux plantes qui l'attendent arborent inlassablement leur couronne de topaze..

Elles resteront plantain, plantées là, jusqu'au jour, évidemment, où le beau chevalier reviendra...